Voyage au Kamtchatka | ||
Kamtchatka (Камчатка)Le Kamtchatka : ce nom n’évoquant absolument rien à beaucoup de gens, je préciserai pour commencer qu’il s’agit d’une presqu’île de 2000 km de long située à l’extrême est de la Russie, au bord de l’océan Pacifique. Le Kamtchatka est principalement volcanique car situé sur la ceinture de feu du Pacifique : c’est là que l’on trouve la plus grande concentration au monde de volcans actifs. Le Kamtchatka est isolé de tout : 9 heures d’avion sont nécessaires pour s’y rendre depuis Moscou (elle-même à 3h30 de Paris), et il y a 11 heures de décalage horaire avec la France. L’isolement est encore accentué par le caractère stratégique du lieu : en raison de sa situation idéale face aux États-Unis, l’Union Soviétique avait fait du Kamtchatka une base de missiles balistiques et de sous-marins nucléaires. En conséquence la péninsule était une zone interdite, non seulement aux étrangers, mais même à la plupart des Russes. Le tourisme au Kamtchatka n’a donc démarré qu’il y a une dizaine d’années. Autre caractéristique de l’endroit, sa très faible densité de population, répartie principalement dans la capitale du district, Petropavlovsk-Kamtchatski, ainsi que dans quelques bourgades réparties le long d’un unique axe de communication. Dans le reste de la péninsule, c’est la taïga, le royaume des ours qui seraient plus nombreux que les habitants. Le seul mode de déplacement est alors l’hélicoptère. Une fois n’est pas coutume, l’agence nous avait payé le vol le plus direct possible : une seule escale à Moscou. De nombreux touristes se voient en effet transiter par Saint-Pétersbourg, Irkoutsk et parfois même une troisième escale au cœur de la Sibérie. Mais le transit à Moscou n’a tout de même pas été de tout repos : trois heures d’escale seulement, au cours desquelles il fallait passer la douane, changer d’aéroport (sans connaître les lieux) et réenregistrer, sans compter la fouille à l’entrée de chaque bâtiment en raison des risques terroristes. Le premier avion était heureusement à l’heure. Et puis accessoirement, mon grand regret a été de ne pouvoir aller visiter la place Rouge que je n’ai jamais vue. Ensuite, on embarque dans un appareil Tupolev de l’Aéroflot pour un vol intérieur de 9 heures. On se rassure, il y a paraît-il plus d’accidents d’avion aux États-Unis qu’en Russie. L’appareil passe très au nord. Le soleil ne se couche que très tard dans la nuit, et chose très surprenante, il se relève deux heures après du même côté de l’appareil. L’agence nous avait conseillé de nous asseoir sur le côté gauche de l’avion pour pouvoir apercevoir, au moment de l’atterrissage, les splendides volcans Koriatski et Avatcha qui dominent la ville de Petropavlovsk-Kamtchatski (Петропавловск Камчатский). Mais dans les faits on ne peut jamais choisir. Lorsque nous avons approché du Kamtchatka, la région était sous les nuages et j’ai craint que nous nous trouvions au milieu d’une période de mauvais temps. Mais il n’en était rien, il ne s’agissait là que de brumes matinales dont dépassaient d’ailleurs les sommets des volcans. Et l’une de mes plus grandes surprises concernant ce voyage a été la météo qui nous y avons eue. Alors que je m’attendais à un temps très humide, à l’instar de ce que j’ai pu connaître en Islande ou en Norvège, nous avons eu grand beau pendant les trois quarts du séjour ! Et dire que pendant ce temps, ceux qui étaient restés à Paris avaient un temps pourri… Notre guide nous attendait à l’aéroport. Un guide français (le seul résident européen à Petropavlovsk), assez jeune, très sympathique et compétent. Il nous annonce immédiatement un changement de programme : alors que nous devions normalement coucher à l’hôtel ce soir, nous allons immédiatement partir en brousse, pour profiter de la période de beau temps en cours. Nous camperons dès ce soir au pied du volcan Goreli, à 1000 m d’altitude et quasiment dans la neige ! Mais tout le monde est enchanté de cette nouvelle, malgré les quinze heures de vol et les onze heures de décalage horaire que nous venons d’endurer. Après un repas au restaurant à Petropavlovsk, nous embarquons dans un camion 4 × 4 du même genre que celui dans lequel j’avais voyagé au Tadjikistan (une confort tout relatif…). Direction : plein sud. Là bas se trouvent deux volcans actifs, le Goreli et le Moutnovski, qui ont la particularité d’être facilement accessibles grâce à une route récemment construite pour desservir une centrale géothermique.
C’est dans cet environnement polaire que nous avons passé nos trois premières nuits ! Nous avons quand même pu trouver un endroit découvert de neige pour y planter nos tentes. Nous nous sommes un peu écartés de la route : notre camion pouvait rouler (presque) sans problème dans la neige. Notre première randonnée le lendemain nous a conduits au cratère du volcan Goreli (Горелая Сопка). Le Goreli est un volcan actif de 1829 m d’altitude situé au centre d’une caldeira. Sa dernière éruption (de type explosif) remonte à 1986, le panache de cendres était parfaitement visible de Petropavlovsk. L’ascension du volcan n’est pas très difficile (les pentes ne sont pas trop raides). Voici une série de photos prises au début de notre ascension. Nous avons commencé par contourner un lac intermittent qui était plein de neige à ce moment. Mais dès qu’on commence à s’élever sur les flancs du volcan la neige disparaît (le vent l’en a chassée). Le volcan que l’on aperçoit sur la troisième photo, bien visible pendant toute l’ascension, s’appelle le Vilioutchin (Вилючинская Сопка) : 2173 m d’altitude seulement, mais d’un seul tenant car le volcan est situé en bord de mer, face à Petropavlovsk. C’est un stratovolcan éteint. L’un des incontournables pour les sportifs du Kamtchatka est de se faire déposer en haut pour dévaler les pentes à ski de randonnée, mais ça nécessite un sacré niveau. Le Goreli possède un double cratère, avec un petit lac acide au fond de chacun d’entre eux. Il y a aussi d’imposantes fumerolles, mais il n’est pas possible de s’en approcher. Nous avons juste eu le temps de voir le cratère avant que le brouillard n’envahisse le sommet (nous n’étions pas seuls : il y avait plusieurs groupes importants de touristes russes). La randonnée prévue le lendemain était plus longue (5h30 de montée) ce qui nous a valu un départ matinal. Au programme, le second volcan actif de la région, le Moutnovski (Мутновская Сопка). Le Moutnovski s’élève à 2322 m, mais il n’est pas nécessaire d’atteindre son sommet, grâce à une particularité géologique : son cratère est évasé ce qui permet de pénétrer facilement à l’intérieur. La randonnée démarre de la centrale géothermique qui se trouve au pied du volcan (photo prise en fin d’après-midi). La première étape de cette marche consiste à rejoindre un col qui domine la caldeira du Goreli. Ce tronçon est recouvert de neige gelée, ce qui est parfois un peu délicat. Il paraît qu’il y a pas mal d’ours dans le secteur, mais nous n’en verrons (mal)heureusement aucun. On longe ensuite les flancs du Moutnovski, avec là aussi pas mal de névés, jusqu’à rejoindre un épaulement caractéristique orné d’une croix. Cette dernière commémore le décès en 1991 d’un tout jeune étudiant en volcanologie qui s’était approché trop près des marmites sulfureuses (il avait mon âge). C’est maintenant que commence la partie vraiment exceptionnelle de cette randonnée. À cette endroit débouche en effet une gorge qui permet de pénétrer directement dans le cratère du volcan, sans en effectuer l’ascension : à croire que tout ceci a été conçu exprès pour les touristes ! Le passage lui-même est recouvert d’une neige par dessus laquelle le vent a accumulé de petits pénitents de cendre volcanique. Mais ils sont devenus durs comme du ciment. Le volcan conique éteint qui se dessine dans l’axe de la gorge (telle une perspective haussmannienne !) et que l’on pouvait déjà distinguer sur certaines photos précédentes, s’appelle le Tolmatchova (Толмачова, altitude 1415 m) Et c’est une fois atteint le cœur du cratère qu’on découvre ce sublime paysage de glace et de feu, ces fumerolles géantes semblant directement déboucher des crevasses. Nous étions d’après notre guide particulièrement vernis, non seulement de visiter ce site par un temps aussi idéal, mais encore qu’il n’y ait pas un chat. Mais malheureusement ce deuxième avantage ne devait pas durer puisqu’une troupe de quarante randonneurs russes allait bientôt arriver… Heureusement il n’y aura pas d’hélicoptère. Voici un peu plus loin dans le cratère, ces marmites bouillantes et ces vapeurs d’H2S. Il n’était malheureusement pas possible de ramasser de beaux morceaux de soufre cristallisé comme au Vulcano. Et une ultime photo du Moutnovski, sur laquelle se trouve rassemblée pratiquement toutes les particularités de ce lieu : on y trouve les fumerolles, les séracs, les roches multicolores, et même les mini-geysers qui bouillonnent au niveau du torrent. Quand même, cette balade s’est avérée assez épuisante : pas tant du fait de sa longueur ou de sa difficulté (quoique), mais plutôt du manque de sommeil (deux levers aux aurores après onze heures de décalage on le sent passer !). Du coup je n’ai pas trop fait honneur au dîner de notre cuisinière… Nous avons radicalement d’ambiance le lendemain. Après un essai infructueux pour faire ce jour là le vol en hélicoptère prévu dans le voyage — en Russie on ne peut jamais être sûr de rien, alors autant essayer dès qu’une occasion se présente — nous avons pris le camion pour un long périple vers le nord. Nous avons emprunté l’unique axe de circulation du Kamtchatka, cette route (en partie seulement asphaltée) de mille kilomètres de long circulant dans la vallée du fleuve éponyme et reliant Petropavlovsk à la ville portuaire de Ust-Kamtchatsk (Усть-Камчатск) qui donne sur la mer de Béring. Cette route ne permet d’ailleurs pas de gagner le reste de la Russie : l’isthme reliant le Kamtchaka au continent est absolument désert et les véhicules doivent être transportés par porte-conteneurs — il n’y a pas non plus de transbordeurs. Notre destination à nous n’était pas Ust-Kamtchatsk mais le volcan Tolbatchik qui se trouve à environ deux tiers du parcours. Nous avons mis trois jours pour y parvenir. La route progresse dans la taïga, le paysage n’est plus volcanique mais reste particulièrement sauvage en dehors des rares petites villes traversées (Milkovo, Kozirievsk). On peut rencontrer des ours — cela n’a pas été notre cas, on rencontre aussi — malheureusement — pas mal de moustiques. Notre grand jeu était d’exterminer ceux entrés dans l’habitacle après chaque ouverture des portes, en moyenne quatre ou cinq par personne à chaque fois. Notre guide a recherché des endroits bucoliques pour passer la nuit. Ici, sur les bords de la rivière Poperetchnaïa (Поперечная), un endroit apprécié des habitants de Petropavlovsk qui viennent y passer le week-end pour pêcher à la ligne. Certains d’entre nous ont essayé d’en faire autant mais le résultat ne s’est pas avéré très concluant… Si ce premier camp était situé le long de l’axe principal, tel n’était pas le cas du suivant. Notre guide avait en effet tenu à nous emmener dans un coin connu de lui seul, où nous aurions l’occasion de rencontrer des éleveurs de rennes koriaks et évènes. Revers de la médaille, l’endroit nécessitait une bonne demie journée de piste particulièrement difficile. Tellement difficile que notre camion pourtant 4 × 4 ne pouvait l’emprunter jusqu’au bout ! Nous avons donc dû terminer le parcours dans ce curieux engin à chenilles, un ancien char soviétique des années 40 dans lequel la tourelle et le canon ont été remplacés par un habitacle civil. Pour le confort on repassera ! Ces engins, pouvant circuler à la fois dans dix mètres de neige et dans la taïga — en écrasant toute la végétation évidemment, l’écologie n’a jamais été le premier souci des Russes ! — constituent l’unique moyen en dehors de l’hélicoptère de rejoindre les régions reculées du Kamtchatka. L’endroit où nous allions passer les deux nuits suivantes était ce que notre guide nommait son « petit coin de paradis » : une cabane de pêcheurs en bordure d’un lac — le lac Capélio, au cœur de la chaîne occidentale (non volcanique) du Kamtchatka. En clair la nature à l’état brut. Notre guide tenait tellement à préserver cet endroit qu’il nous a demandé de ne pas divulguer l’emplacement du lac, au cas où nous aurions pu repérer ce dernier. Il me faut toutefois reconnaître que ce séjour au lac Capélio n’est sans doute pas la partie de ce voyage que j’ai préférée… (en partie du reste à cause de la météo). Il y a tout de même eu des moments assez forts sur ces rives. Ainsi, en début de la première soirée après le dîner, l’un des Russes qui nous accompagnait est parti en barque sur le lac avec une touriste de notre groupe. En moins d’un quart d’heure ils ont ramené quatre saumons. Il y a énormément de saumons dans les rivières du Kamtchatka (au grands bonheur des ours), et notre voyage coïncidait avec la période où ces derniers remontent les rivières (toutefois les saumons dits royaux, les plus gros, remontent un peu plus tôt). Cela faisait tellement de poisson que nous en avons eu le lendemain au petit déjeuner ! Avec en guise de dessert ce met de choix que constituent les ovules (euh pardon, les œufs) ! J’ai eu par le suite l’occasion de prendre place sur la petite barque, m’essayant pour l’occasion à l’aviron ce qui était une première… (et des progrès restent à faire !). Point de nouvelle pêche, mais l’occasion de voir et de photographier des saumons vivants, dans leur milieu naturel. Notre guide avait prévu deux choses pour cette journée : le matin, la rencontre avec les nomades qui logeaient dans le coin, et l’après midi, essayer de voir des ours. Pour ce qui est des nomades, nous avons eu beaucoup de chance. Non seulement ils avaient effectivement établi leur campement ici (ce dont on n’aurait pas pu être tout à fait sûr a priori), mais ils avaient l’intention d’attraper un renne pour en consommer la viande. Nous étions donc invités à assister à la capture. Le troupeau de rennes est en semi-liberté. Les nomades doivent d’abord aller les chercher dans la montagne puis rabattre le troupeau vers le camp. Nous n’assistons pas à cette première phase. Le troupeau se rapproche jusqu’à une vaste plaine sur laquelle il se met à tourner dans le sens antitrigonométrique. Les rennes finissent pas s’arrêter et s’asseoir au bout d’un quart d’heure. La prise d’un animal se fait ensuite au lasso : le troupeau repart dans sa course circulaire dès que quelqu’un s’en approche. Trois ou quatre lancers de corde sont nécessaires avant qu’un renne soit attrapé. Après la prise, l’animal capturé — un vieux mâle qui n’a pas été choisi au hasard — est abattu, puis les abats sont immédiatement consommés. Nous avons été invités dans la yourte, nous avons eu droit au cœur : cela aurait pu être pire, heureusement les nomades ont gardé les tripes et la cervelle pour eux mêmes ! Ils nous ont offert par ailleurs plusieurs kilos de viande, nous en avons eu jusqu’à la fin du séjour ! L’après-midi a été nettement moins fructueuse. Notre guide nous a proposé de nous poster au-dessus d’une rivière remontée par les saumons, dans l’espoir d’observer des ours en train de pêcher. Les ours, très nombreux au Kamtchatka, se nourrissent pendant tout l’été du saumon des rivières ainsi que de baies sauvages qu’ils ingèrent par milliers. En se planquant non loin d’une rivière, on maximise les chances d’en voir, et notre guide avait pu en apercevoir plusieurs de ce même endroit, au cours d’un précédent voyage. Malheureusement pour ce coup ci nous ferons chou blanc. Il faut dire qu’un des Russes qui logeaient au lac nous avait accompagnés et n’a pas arrêté de discuter avec notre guide : ce n’est pas très FOMEC-BLOT ! Accessoirement nous avons été trempés par la pluie, ça me rappelait vraiment l’armée quand nous jouions à nous planquer dans les kékés… Bref, on oublie. Et puis la nuit suivante a été plutôt difficile car une troupe d’une dizaine de Russes était venue pour extraire un maximum de saumon du lac. Et là ce n’était la pêche artisanale, ce sont des kilos de poisson qu’ils ont braconnés ! (je ne sais trop d’ailleurs comment ils faisaient). La pêche se déroulait à 3 h du matin, entre deux rasades de vodka. Inutile de dire qu’ils n’avaient pas grand chose à faire des touristes qui essayaient de dormir à côté… Nous avons repris la route le lendemain (et à ma grande surprise, le temps s’était rétabli). Nous sommes d’abord retournés à Milkovo (Мильково) par le même cahotique chemin qu’à l’aller, puis direction le nord jusqu’à la ville de Kozirievsk (Козыревск). Point marquant de ce parcours : la traversée en bac du fleuve Kamtchatka, devenu trop large sans doute à cet endroit pour qu’on y jette un pont. Le bac n’a visiblement pas évolué depuis l’époque soviétique, c’est une barge péniblement tractée par un petit bateau qui se trouve sur le côté : on se demande à chaque instant si l’attelage ne va pas rompre et nous partir en dérive jusqu’à la mer de Béring. Il n’y a qu’une traversée par heure et les horaires sont fixes, tant pis pour le monde qui attend. Quand aux priorités pour embarquer, elles semblent peu avoir de lien avec l’ordre d’arrivée des véhicules. D’abord passent l’armée, les dignitaires, la mafia, les touristes ensuite seulement s’il reste de la place (quant aux paysans locaux…). L’hiver on traverse paraît-il le fleuve directement sur la glace. Nous avons passé la nuit en auberge à Kozirievsk. Kozirievsk est un petit village russe traditionnel, aux isbas en bois et dépourvu de ces hideux immeubles soviétiques que l’on trouve par dizaines à Petropavlovsk et aussi à Milkovo. On distingue depuis la ville la chaîne de volcans dominant la région, en commençant par le Klioutchevskoï (Ключебская Сопка), 4688 m, le plus haut sommet du Kamtchatka et aussi plus haut volcan actif d’Eurasie. Suivent ensuite le Bezimiani (Безымянный, 2882 m) et le Tolbatchik (3672 m), celui sur les flancs duquel nous nous rendrons les jours suivants. Nous avons profité de la soirée dégagée à Kozirievsk pour aller admirer cette chaîne de volcans depuis les rues du village. La photo qui suit a été prise à l’aide d’un petit trépied placé à même le sol. Cette courte sortie s’est tout de même avérée plutôt éprouvante… à cause des moustiques ! Leur nombre avait dépassé tout ce que nous avions pu rencontrer jusqu’ici, nous nous étions donc entièrement enduits de crème et avions enfilé ces fort peu esthétiques filets de protection. Mais ces satanés insectes nous piquaient à travers nos vêtements ! Et pourtant, leur nombre était ce soir là encore bien inférieur à ce qu’il peut être à Kozirievsk au début de l’été… Je me demande bien ce que ça doit être. Nos chambres à l’auberge étaient toutes équipées d’un diffuseur électrique anti-moustiques. On le branchait une demi-heure et on retrouvait à terre tous les moustiques de la pièce ! Très efficaces ces produits russes, on évitera de se demander s’ils sont vraiment écologiques… Comme prévu, direction le volcan Tolbatchik (Толбачикская Сопка) le lendemain matin, profitant d’une météo idéale. Mais le Tolbatchik se mérite : il faut emprunter une piste très étroite et très cahoteuse en pleine forêt. Vitesse moyenne : 30 km/h. On en a pour plusieurs heures et la végétation nous empêche de voir le paysage. On longe ainsi plusieurs volcans sans les voir, et on prend aussi sensiblement de l’altitude. Puis tout à coup, on débouche sur une zone découverte, tellement découverte même qu’il n’y pousse pas un poil d’herbe. Nous sommes arrivés sur les flancs du Tolbatchik, sur les lieux mêmes de la dernière éruption qui remonte à 1975. Face à nous, le sommet principal du volcan, recouvert de glaciers, l’Ostri Tolbatchik (Острыи Толбачик, 3672 m) J’ai vraiment bien aimé ce paysage lunaire, un peu analogue à l’Etna avec en plus des glaciers. Toute cette zone a en fait été recouverte de cendres lors de la phénoménale éruption de 1975, qui s’était traduite par l’émission d’un bon kilomètre cube de lave. Les fontaines de lave faisaient 1 km de haut et étaient parfaitement visibles depuis Kozirievsk. L’éruption avait duré un an. Pourtant, aucun vulcanologue occidental n’a pu étudier l’éruption, le Kamtchatka étant classé zone militaire interdite jusqu’à la fin de l’Union Soviétique. Sur ces kilomètres carrés de forêts détruites, la végétation commence tout juste à reprendre, d’où ces paysages lunaires qu’il nous est encore possible d’observer. Nous avons établi notre camp en un endroit fort intéressant : une forêt brûlée. En fait, des arbres séchés sur place par l’éruption et qui sont toujours un place trente ans après. Le bois n’est pas vraiment brûlé, on peut tout à fait faire du feu avec les branches tombées par terre. Par contre il n’y a pas de source dans le coin, on ne peut pas se laver mais ce n’est pas bien grave… On peut visiter une curiosité assez étonnante sur les flancs du Tolbatchik : les tunnels de lave. Ils se sont formés lors d’une éruption assez ancienne, lorsque la lave d’une coulée s’est refroidie en surface tout en continuant à couler à l’intérieur. La source de lave s’est ensuite tarie ce qui a provoqué un évidement de la coulée. Les tunnels de lave sont assez rares dans le monde, il en existe de spectaculaires à Lanzarote dans les Canaries (plutôt courus d’ailleurs…). Ceux du Tolbatchik sont plus petits, mais aussi assez malaisés à visiter : il faut avancer à quatre pattes sur une centaine de mètres, avant de ressortir par un peu d’escalade. La troisième photo de la série précédente, montre le paysage aux alentours des tunnels. La végétation recommence progressivement à s’implanter par-dessus le dépôt de cendres de 1975. La journée suivante nous a vus rencontrer les paysages parmi les plus beaux de ce voyage, et ce par une météo remarquable. Nous l’avons consacrée à l’ascension de cônes monogéniques, ces petits édifices volcaniques qui apparaissent au cours d’une éruption sur le flanc du volcan principal et qui ne sont actifs que lors de cette seule éruption. Nous avons gravi trois cônes en enfilade, tous (à l’exception du dernier) produits de l’éruption de 1975. Le premier de ces cônes est un cratère évasé, ou « égueulé » si l’on se réfère au très poétique jargon de volcanologie. C’est de ce cône que sont sortis la plupart des épanchements de lave de 1975. Bien que l’éruption date de plus de trente ans, on trouve encore des traces d’activité au sommet de ce cône ainsi que du suivant (dégagement d’air chaud pour le premier, de fumerolles pour le second). Les photo prises depuis ces cônes montrent en arrière-plan le sommet enneigé du Tolbatchik, ou Ostri Tolbatchik. Ce sommet se prolonge sur la droite par une crête plus plate qui cache en fait un grand cratère, c’est le Ploski Tolbatchik. C’est en sa direction que nous partirons randonner le jour suivant, avec un succès tout de même mitigé. Nous voici maintenant sur le second cône, avec vue sur le premier dont on visualise bien le caractère égueulé. Et toujours l’Ostri et le Ploski Tolbatchik en arrière-plan. Le second cône possède un cratère beaucoup plus vaste, comme on peut le voir sur photo masquée. Le troisième des cônes que nous avons visités a un aspect tout aussi lunaire que les deux précédents, mais il est pourtant bien plus ancien. C’est en fait l’éruption des deux premiers qui en a fait disparaître la végétation. Ce cône (au demeurant un peu plus difficile d’accès que les deux premiers) est généralement peu visité par les touristes, mais il intéressait plus particulièrement les deux professeurs de sciences’nat de notre groupe pour son gisement de cristaux d’azurite. Ce cône offrait accessoirement une belle vue, non seulement sur le Tolbatchik, mais sur d’autres volcans de la région comme le Bolchaïa Oudina (Большая Удина, 2920 m) un voisin du Tolbatchik qui est visible sur la photo. Nous avions gardé pour notre dernier jour sur le Tolbatchik, la grande randonnée, celle qui devait nous mener jusqu’au Ploski Tolbatchik (3000 m environ) : 6 h de montée (18 km en plat) et environ 4h30 de descente. Malheureusement le mauvais temps nous a rattrapés en cours de route ce qui fait que nous sommes arrivés en haut dans le brouillard. Je n’ai personnellement presque rien vu du cratère. Mais nous avons tout de même joui de la vue pendant la montée, notamment sur l’Ostri Tolbatchik qui nous dominait pendant que nous marchions sur un glacier. Le départ s’effectue à l’observatoire de vulcanologie Leninski : nous nous sommes levés à 5 h pour être à pied d’œuvre au lever du soleil. La première partie de la randonnée nous voit s’élever progressivement, dans l’alignement des cônes monogéniques. Nous découvrirons au retour que nous aurions pu faire ce début de montée en camion, la piste s’étant allongée depuis la dernière visite de notre guide en ces lieux. La choses sérieuses commencent après cette première étape. Tout d’abord, une montée dans la cendre et les coulées de lave. Ensuite, un passage sur un glacier plat, non crevassé et recouvert de pierres. Et puis, une fin d’ascension un petit peu plus escarpée, le long d’une crête de moraine. Notre guide surveille la météo qui donne des signes évidents d’aggravation, mais le ciel restera dégagé tant que nous monterons (par contre, la descente se fera sous la pluie et dans le brouillard). Quant au but de l’ascension, c’était selon le prospectus de notre agence, la « vision dantesque [d’un] cratère d’un kilomètre de diamètre et [un] panorama inoubliable sur le groupe de volcans ». Là il faut bien reconnaître que c’est raté, nous n’avons pratiquement rien vu dudit cratère. Mais on ne peut objectivement se plaindre de la météo qui aura été exceptionnelle pendant tout le reste de ce voyage ! Retour d’une traite à Petropavlovsk le lendemain (600 km tout de même !) sous une pluie battante. Mais l’averse s’est heureusement arrêtée le jour suivant où nous avons pu visiter la ville sous un temps certes gris mais acceptable. Il me faut rendre hommage au dévouement de notre guide qui nous a accompagnés pendant toute la visite de la ville pour nous en montrer les curiosités, alors qu’il n’y était nullement tenu ; aucun autre guide d’aucun autre de mes voyages n’a jamais fait ça. Petropavlovsk (200 000 hab.) n’est pas en soi une belle ville : aucun bâtiment antérieur aux années 20, des rues rectilignes et des immeubles dans le plus pur style stalinien. Mais l’endroit vaut pour son site, au bord d’une grande anse ouvrant sur le Pacifique, la baie d’Avatcha (Авачинская Губа), dont certains on pu affirmer qu’il s’agirait d’une ancienne caldeira (ce n’est semble-t-il pas certain), et au pied de deux grands volcans (le Koriakski (Корякская Сопка), 3456 m, et l’Avatcha (Авачинская Сопка), 2741 m), volcans actifs qui se sont heureusement tenus cois ces dernières décennies. La ville fut fondée à l’époque de Pierre le Grand par l’explorateur danois Vitus Béring. Les deux vaisseaux de l’expédition (Saint-Pierre et Saint-Paul) ont donné leur nom à la ville, laquelle n’a jamais été débaptisée à l’époque soviétique. Les Français se sont illustrés à deux reprises dans l’histoire de Petropavlovsk : l’expédition du navigateur La Pérouse y passa en 1787, et elle fut à l’origine de la première ascension du volcan Avatcha (même si ce point est contesté par certains historiens russes). L’autre fait d’armes est beaucoup moins glorieux puisqu’une expédition franco-anglaise tenta de prendre la ville en 1854 (pendant la guerre de Crimée) et dut y renoncer. Notre guide nous a d’abord emmenés sur une colline située au beau milieu de la ville, où est construit un relais de télévision. On y jouit d’une vue d’ensemble sur la ville et sur la baie. Sur la rive de la baie qui nous fait face se trouve le port militaire de Vilioutchinsk (Вилючинск), l’une des plus grosses bases russes de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (l’équivalent de l’Île Longue chez nous). Nous nous sommes ensuite baladés dans la ville proprement dite. Petropavlovsk est presque complètement séparée en deux parties : une partie haute, visible sur la photo suivante et qui abrite la plupart des habitations, le marché, etc. ; et une partie basse, celle que l’on voit sur le panoramique précédent, où se trouvent le port, les bâtiments administratifs (mairie) et les théâtres. Après le marché, visite de la partie basse de la ville où l’on peut admirer cette relique d’une époque révolue (car la municipalité de Petropavlovsk est toujours communiste !). Balade sur la plage de galets (assez polluée), et sur une petite colline faisant face au port. On trouve également dans ce secteur ces deux maisons en bois, seul vestige du Petropavlovsk présoviétique. Les couloirs déboisés que l’on peut apercevoir sur les collines en arrière-plan sont des pistes de ski ! Nous avons terminé la journée par le très intéressant musée de Petropavlovsk. Dommage que les explications ne soient qu’en russe, mais notre guide nous les a efficacement traduites. De nombreux objets consacrés à la faune locale (comme ce crabe royal du Kamtchatka, le seul que j’aurai vu car on ne les pêche qu’en hiver), au volcanisme (ici une photo de l’éruption de 1975 du volcan Tolbatchik), et à l’histoire de Petropavlovsk et de la péninsule. J’en viens maintenant au feuilleton relatif au vol en hélicoptère. Comme je l’ai déjà dit une grande partie du Kamtchatka se trouve éloignée de tout axe de circulation et nombre de sites touristiques ne peuvent se visiter qu’en hélicoptère. Notre voyage comprenait de ce fait, inclus dans le prix, une tournée en hélicoptère qui devait permettre d’aller voir quelque volcans spectaculaires de la péninsule (et notamment le Karimski en éruption chronique). Mais voilà, les vols touristiques en Russie ne se programment pas comme ça. Premièrement il faut qu’il fasse grand beau (le vol se fait à vue donc est impossible quand il y a du brouillard ou des nuages), et deuxièmement les hélicoptères sont susceptibles d’être réquisitionnés n’importe quand pour des besoins logistiques, et de ce fait les excursions annulées sans prévenir. Et c’est ce qui s’est produit en début de voyage, quand notre guide a tenté de faire le vol le lendemain de la randonnée au Moutnovski. Mais là la fin du voyage approchait, il ne nous restait plus que deux jours avant de repartir. Le samedi 19 le temps était couvert, nous avons donc consacré la journée à la visite de Petropavlovsk. Mais par chance, pour le tout dernier jour, la météo anonçait une amélioration. Et effectivement le temps a commencé à se découvrir vers 10 h du matin. Notre guide a dû négocier ferme, il n’était sûr de rien, il a même prévu une excursion de substitution en bateau (ouais, bof…). Mais nous avons finalement pu décoller l’après-midi. Quant à la matinée, nous l’avons occupée d’une manière pour le moins originale. Outre le fait que la météo ne nous aurait pas permis de partir à l’aube, notre hélicoptère se trouvait pour l’heure occupé… à un défilé militaire. Notre guide nous a donc proposé d’y assister. Nous nous sommes donc rendus sur la base aérienne, les portes étaient grandes ouvertes et les militaires avaient l’air ravis que des étrangers viennent assister à leur parade. Nous n’osions pas au début photographier les matériels, jusqu’à ce que les Russes eux-mêmes nous invitent vivement à le faire. L’un d’entre nous a même pu essayer une combinaison anti-g de pilote et se faire photographier avec. Quant au défilé proprement dit — en fait essentiellement un défilé de troupes à pied, avec seulement quelques survols d’hélicoptères — nous l’avons trouvé amusant. L’armée Rouge est quand même devenue bien débonnaire, et ce qui en imposait le plus dans la scène, c’était bien le volcan Koriakski qui dominait à l’arrière-plan… Venons-en donc maintenant au clou de ce voyage qu’est le vol en hélicoptère. Trois heures de vol sans les pauses, ce qui comme l’on s’en doute n’est pas gratuit… Quant à la sécurité, il semble qu’il y ait peu d’accidents d’hélicoptères au Kamtchatka. Le pilote, un ancien militaire, avait l’air d’être compétent et de ne pas (trop) carburer à la vodka… Voler en hélicoptère est toutefois assez fatiguant (même pour les passagers !), en raison du bruit assourdissant malgré les casques anti-bruit fournis. Nous avons commencé par nous diriger plein nord, survolant la ville de Yelizovo (Елизово, la « banlieue » de Petropavlovsk) puis la nature du Kamtchatka, jusqu’aux abords du volcan Karimski. Le volcan Karimski (Карымская Сопка, 1468 m)est un volcan de type « gris » (c’est-à-dire explosif) en éruption chronique. Toutes les quelques minutes, il crache un panache de fumée et de cendres dans un vacarme assourdissant. Nous avons commencé par survoler ce volcan (en ne nous approchant pas trop près !), avant d’aller nous poser à son pied. Au pied du Karimski se trouvent des sources chaudes. Nous sommes en pleine nature, aucune route ni aucune piste n’arrivent jusqu’ici. Les sources sont à peine aménagées. Lorsqu’on s’y baigne on éprouve une drôle de sensation : l’eau fait des bulles, un peu à la manière du Badoit ou du Perrier. Et on entend par derrière le grondement du volcan : expérience inoubliable ! Il paraît que le Karimski était plutôt calme en août 2006. Qu’est-ce que ça doit être en temps normal ! Cela étant, il n’est peut-être pas toujours possible de s’en approcher. Notre guide avait ensuite prévu d’aller visiter le volcan Mali Semliatchik (Малый Семлячик, 1653 m). Il s’agit d’un volcan assoupi, situé au centre d’une vaste caldeira et dont le cratère est rempli d’un lac aux eaux turquoises. Le tout, à faible distance de l’océan Pacifique. Nous aurions dû nous poser sur le bord du cratère et effectuer une petit marche sur le sommet. Mais le vent nous en a empêchés. Nous avons donc effectué plusieurs survols du cratère, ce qui était très impressionnant (le pilote avait quand même l’air de savoir ce qu’il faisait !). Les photos sont assez difficiles à prendre dans ces conditions, voici ce que j’ai pu faire de mieux. Ne pouvant nous poser sur le Mali Semliatchik, nous avons rebroussé chemin et pris la direction du lac Karimskoïe (Карымское озеро). Ce lac, situé comme son nom l’indique au pied du Karimski, est un peu acide (pH 5). Les eaux étaient très poissonneuses jusqu’en 1996, date à laquelle de brusques dégagements gazeux ont éradiqué toute vie du lac en l’espace de quelques heures. Outre la vue sur le volcan, l’intérêt du lac Karimskoïe tient aux manifestations géothermiques que l’on trouve sur ses rives. Il y a là de petits geysers, pas aussi impressionnants qu’en Islande mais tout de même dignes d’intérêt. Cette rivière d’eau bouillante coule par intermittence pendant deux ou trois minutes, avant de s’assécher complètement pendant une ou deux minutes. Il faut bien choisir le moment pour la traverser ! Il n’y a pas que les volcans au Kamtchatka. Nous avons profité de ce vol en hélicoptère pour observer des ours, ce que nous n’étions pas parvenus à faire jusqu’à présent. Mais le pilote de l’appareil connaissait un bon coin, un grand plateau parcouru de petites rivières que remontent les saumons. Nous y avons aperçu cinq ours en l’espace de quelques minutes ! Il faut dire que nous les dérangions pas mal, approcher ces plantigrades en hélicoptère inverse quelque peu le rapport de forces (c’en est presque jouissif, selon notre guide à qui il est arrivé de se trouver nez à nez avec un ours en pleine nature…). Après cet épisode, nous nous sommes dirigés vers la mer. Nous nous sommes posés près d’un village de pêcheurs près de l’estuaire d’un fleuve côtier. Puis nous avons fait quelques minutes de zodiac pour rejoindre la plage. Nous étions dans un endroit sauvage, face à une île qui est une réserve ornithologique, l’île de Kracheninnikova (Крашенинникова). Nous avons également pu apercevoir un phoque qui refaisait surface toutes les quelques minutes, ainsi que, pour les plus chanceux d’entre nous, un aigle de Steller. Il nous restait une bonne heure de vol pour rentrer. Le pilote a pendant un moment laissé le manche à notre guide. Sans vouloir vexer ce dernier, on sentait quand même que l’appareil n’était plus aussi bien tenu ! Nous avons longé quelques volcans avant de passer non loin de ce qui constitue le plateau d’Albion des Russes (des rampes de lancement de missiles intercontinentaux). Évidemment on ne voit rien mais notre guide savait que ça se trouve par là. Ensuite on passe quasiment sans transition de la nature vierge à la ville. On survole Petropavlovsk et on longe la baie d’Avatcha, avant de regagner l’aérodrome. C’était le dernier jour, nous avons repris l’avion le lendemain : une quinzaine d’heures de vol et une bonne semaine pour se réacclimater ! |