Voyage en Albanie | ||
AlbanieL’Albanie est un pays de l’Europe du sud encore peu touristique. La raison en est assez mystérieuse, et tient sans doute en grande partie à une mauvaise réputation exagérée. Le pays subissait certes il y a encore vingt-cinq ans le régime communiste le plus fermé qui soit, rendant tout voyage touristique impossible. Par la suite, il y eut en 1997 la crise des sociétés pyramidales et guerre civile qui s’ensuivit. Les évènements du Kosovo, dans lesquels l’Albanie fut certes partie prenante mais qui ne concernaient pas directement le territoire albanais, ont sans doute également leur part dans cette mauvaise image. Et puis, le fait est que le pays est resté très pauvre, à majorité musulmane (même si, heureusement, l’emprise de cette religion sur la société y demeure assez faible), la bureaucratie y est paraît-il pesante au point de dissuader les entreprises étrangères de s’installer. On parle également de mafias, de trafics peu avouables (drogue, prostitution, organes) même si, là aussi cela concerne peut-être davantage le Kosovo que l’Albanie. Et puis, tout simplement, on parle très peu de ce petit pays qui reste largement méconnu. L’Albanie recèle pourtant des attractions touristiques non négligeables qui valent tout à fait le voyage. C’est moins beau que la Grèce certes, mais aussi avec bien moins de touristes ce qui est très appréciable. L’idée de partir en Albanie m’est venue assez récemment : c’est le guide que j’ai eu lors de mon voyage en Crète de 2014, qui était albanais, qui avait fait un peu de retape pour son pays. Et après tout, s’agissant de l’un des seuls pays du pourtour méditerranéen où mon père ne m’a pas emmené dans ma jeunesse, pourquoi pas ! J’ai mis deux ans à me décider, mais par chance, j’ai pu trouver du premier coup un voyage Allibert dont le départ était assuré. Ce voyage, d’une durée de deux semaines, comprenait de petites randonnées et pas mal de visites. Il avait la particularité de sortir trois jours du pays pour une incursion au Kosovo puis en Macédoine. J’ai rejoint Tirana la capitale de l’Albanie par la compagnie slovène Adria, donc avec une escale à Ljubjana. L’aéroport de Tirana, le seul du pays, s’appelle mère Teresa, en l’honneur de celle qui se disait albanaise de cœur quoique n’y ayant jamais vécu (née à Skopje en Macédoine d’une famille originaire du Kosovo). En arrivant à Tirana on trouve tout de suite la température à laquelle on peut s’attendre en ce début juillet : 35°C. Notre guide, Ilir, était un jeune qui ressemblait un peu au guide Dimitri du voyage en Crète. D’ailleurs, il avait lui aussi vécu en Grèce, où l’émigration albanaise est très forte depuis la chute du communisme. Néanmoins la comparaison s’arrête là, je n’ai en effet pas trouvé qu’Ilir soit le plus… motivé des guides touristiques que j’ai eu l’occasion de côtoyer. Après une étonnante halte dans un café de l’aéroport, à attendre les retardataires du groupe qui finalement devaient arriver beaucoup plus tard, nous avons pris la route pour la ville de Shkodër dans le nord du pays. Premier contact avec un pays qui fait quand même un peu tiers monde, où la circulation est fort lente, les véhicules parfois d’un autre âge, où les détritus jonchent le bord des routes (pareil qu’à Paris direz-vous, mais la France est sur une bien mauvaise pente). Certains participants ont immédiatement remarqué le nombre pléthorique de pompes à essence sur le bord des routes. Apparemment c’est un bon moyen de blanchir le produit de certaines activités douteuses. La mafia est très implantée en Albanie, et les grandes firmes multinationales, très peu. L’Albanie est par exemple l’un des seuls pays au monde où l’on ne trouve pas de Mac Donald’s. Ci-dessus la ville de Lezhë que nous avons traversée à mi-parcours. On y trouve (seconde photo) la tombe de Skanderbeg (1405-1468), le héros national albanais. Ne me demandez pas de raconter sa biographie. Nous nous sommes arrêtés à l’entrée de Shkodër pour une visite : la forteresse vénitienne de Rozafa. Cette plate forte domine une plaine marécageuse où coulent trois rivières : le Drin, Kir et Buna. On trouve également, au pied de cette forteresse, cette ancienne mosquée (XVIIIe s.) aujourd’hui totalement abandonnée, la mosquée de Plomb. C’est pourtant paraît-il la plus belle d’Albanie, nous ne la visiterons pas. Elle est aujourd’hui située dans un terrain inondable à l’écart de l’agglomération, il y avait autrefois un bazar à cet endroit mais qui n’a pas résisté aux crues. Le minaret a été détruit par la foudre en 1967. Notre guide nous a accompagnés jusqu’à la forteresse, ce qui nécessitait une petite montée à pied, sous un chaleur heureusement déclinante eu égard à l’heure assez avancée. Ce point stratégique fut pris par les Turcs en 1479, qui procédèrent ensuite à des remaniements (ajout d’une mosquée par exemple). Il existe une légende autour de ce château, Rozafa étant une femme qui y aurait été enterrée vivante au cours la construction. Quelques photos également de la ville de Shkodër prises depuis la forteresse. Le lac de Shkodër qui est voisin de la ville et que l’on devine sur certaines photos, est frontalier avec le Monténégro. Nous sommes descendus à Shkodër dans un hôtel de bon standing. Ce sera très souvent le cas au cours de ce voyage, il faut dire que le niveau de vie en Albanie n’est pas très élevé et les prix des nuits d’hôtel non plus. Voici deux photos de la ville prises au cours de la soirée. Sur la première photo on y voit des édifices religieux flambants neufs, église catholique et orthodoxe ainsi que mosquée. Rappelons que la plupart des lieux de culte avaient été rasés sous la dictature d’Hoxha, à l’exception de ceux présentant un intérêt architectural. Après le dîner au restaurant (dans un bâtiment qui a souffert des émeutes de 1997 qui ont fait beaucoup de dégâts à Shkodër), nous avons parcouru l’unique rue piétonne de la ville, avec un semblant d’animation nocturne qui est loin d’égaler ce qu’on trouve en Italie ou en Grèce. On y trouve des jeunes gens qui se baladent en groupe, mais avec une stricte séparation de sexes, et ce quelle que soit la religion des personnes concernées. Apparemment, le kanun, code de vie albanais, corsète encore très fortement les mœurs en Albanie. Et nous n’avons pas échappé, au moment de nous coucher, à un assourdissant appel de muezzin. C’est le lendemain qu’était prévu l’un des clous du voyage : une longue navigation sur un lac de barrage (le lac Koman), au cœur des Alpes albanaises. Une traversée qui a pourtant été à deux doigts de ne pas se faire, ainsi que nous allons le voir. Pourtant, le guide avait pris toutes les précautions pour être à l’heure, en nous faisant lever à 5h30 (ce qui ne devait plus jamais arriver par la suite). Et ce, quand bien même les derniers participants, dont mon compagnon de chambre, étaient arrivés en taxi à 1h du matin ! Nous avons donc quitté Shkodër de bon matin, traversant quelques villages (qui sont pour la plupart catholiques), puis longeant un premier lac de retenue sur la rivière Drin, le lac Vau e Dejes. J’étais malheureusement placé du mauvais côté du véhicule pour pouvoir convenablement le photographier. C’est une demi-heure environ avant d’atteindre le point d’embarquement qu’est survenu le problème. D’un seul coup notre véhicule a stoppé, apparemment les freins étaient HS. Ce qui sur une route de montagne est quelque peu problématique. La perspective ne nous réjouissait guère de renoncer à cette belle navigation et à se taper à la place une route non asphaltée toute la journée (ou alors, comme devait finalement le faire le chauffeur, traverser le pays plus au sud par son unique autoroute et rejoindre Valbonë en passant par le Kosovo). Heureusement, notre guide Illir, reconnaissons-lui ce mérite une fois n’est pas coutume, a réussi à rattraper la situation, grâce à la magie du portable (appeler le port pour retarder le départ du bateau, l’Albanie n’étant pas la Suisse) d’une part, et en stoppant les deux ou trois véhicules de tourisme qui sont passés (et qui amenaient aussi des clients pour l’embarquement) d’autre part. C’est donc cahin caha, assis sur un quart de siège, que nous avons pu rejoindre le lac Koman. L’embarquement est très surprenant et très impressionnant. On aperçoit un barrage dans la montagne, environ deux cents mètres plus haut ; la route s’approche, décrit quelques lacets, puis entre dans un tunnel, tout en continuant à monter. Après quelques kilomètres sous terre, brusquement, on débouche pour ainsi dire directement sur le quai d’embarquement. Et il n’y a pas grand chose : deux ou trois bâtiments, deux transbordeurs, et une dizaine de bateaux plus petits. Komani c’est ça ! À notre gauche le barrage, et à notre droite commence le lac qui s’enfonce dans des montagnes qui semblent totalement inhabitées. Nous n’étions pas les seuls à bord : il y avait aussi un groupe de touristes italiens (ainsi que quelques individuels). Néanmoins, l’Albanie, ce n’est pas encore le tourisme de masse ! Le bateau a appareillé dès que notre groupe, éparpillé dans plusieurs véhicules, s’est retrouvé complet et avec le guide (mais sans nos bagages). Ainsi a débuté une traversée qui devait durer deux heures trente, à la fois étonnante et magnifique, dans un secteur très sauvage où en dehors du moteur du bateau, le seul bruit qui nous parvenait était le crissement des cigales. Il faut dire qu’il faisait très chaud (et même assez lourd), l’altitude (170 m seulement) n’était d’aucun effet, mais fort heureusement le vent engendré par le mouvement du ferry rendait l’atmosphère plus supportable. J’ai pris énormément de photos pendant cette traversée : il faut dire qu’il n’y avait que ça à faire ! Même après une sélection drastique il en reste encore beaucoup ! En voici donc une première « fournée ». Au bout d’une demi-heure de traversée, nous avons aperçu une maison sur les rives du lac. Et puis un peu plus loin, un village et un campement de touristes en maillot de bain. C’est à cet endroit que notre navire a débarqué une personne d’une manière assez acrobatique, sans même ralentir sa marche. Un petit canot équipé d’un moteur puissant est venu à la rencontre de notre bateau ; puis, au moment opportun, le passager a sauté. Je ne l’aurais pas fait ! Le bateau pénètre ensuite dans des gorges immergées, les gorges Drini. C’est sauvage et magnifique, mais s’il est à mon avis exagéré de les comparer au Verdon, ce que n’hésitent pourtant pas à faire certains dépliants touristiques. A la fin de la traversée on sent qu’on retrouve la « civilisation ». Des routes apparaissent sur les berges, et les embarcations sur le lac se font plus nombreuses. (Notre capitaine a débarqué un second passager à une demi-heure de la fin, cette fois-ci en effectuant un tête à queue qui a amené la proue du navire à un mètre du rivage, permettant à l’homme de sauter ; je doute qu’une telle manœuvre serait permise dans un pays aux normes « occidentales »). Je vous rassure quand même, ce rafiot tout rouillé n’était pas le nôtre et n’était pas dévolu au transport des touristes ! Grâce à son téléphone portable, notre guide avait pu réserver un autre minibus qui nous attendait au débarquement. Minibus dont le chauffeur nous a d’ailleurs accompagnés au restaurant. C’est après qu’est survenu le hic. Car l’emploi ordinaire de ce véhicule était de servir de taxi collectif pour les montagnes des Valbonë, et le chauffeur comptait bien rentabiliser son bus. Donc nous nous sommes arrêtés dans la petite ville de Bajram Curri, où le chauffeur a fait monter une dizaine de passagers (dont des enfants en bas âge). Nous étions serrés comme des sardines ! Mais notre guide qui ne l’entendait pas de cette oreille, a âprement négocié… Et finalement tous ces gens sont descendus du bus en maugréant, bons pour attendre leur transport une heure de plus. L’arrêt au restaurant, auquel j’ai fait allusion, a été l’occasion de notre première découverte de la cuisine albanaise typique. On s’assoit, et pendant une demi-heure, des amuse-bouche copieux se succèdent sur la table : du fromage, de la salade (genre salade grecque avec concombres, parfois des feuilles de salade), souvent aussi une spécialité albanaise, le burek (une pâte frite contenant des feuilles de verdure). Et c’est quand nous n’avons déjà plus faim qu’arrive le plat principal, de la viande accompagnée de légumes (riz, pomme de terre). C’est très, trop copieux, mais au fil du voyage nous apprendrons à gérer notre appétit. En fin de repas, il y a généralement un dessert, une fois sur deux de la pastèque (ce que je ne goûte guère), sinon de la glace (on a confiance, le pays n’est pas tropical) ou parfois même un gâteau, plutôt dans les hôtels. Le café est une fois sur deux un expresso (toujours excellent, j’attribue sans preuve ce savoir faire à l’occupation italienne à l’époque de Mussolini, à partir de 1939), sinon du café turc ce que j’apprécie aussi. Cette photo a été prise lors d’une halte en bas de la vallée de Valbonë où nous devions passer les deux jours suivants. Dans l’eau limpide des gorges se baignaient les jeunes du secteur. Uniquement des jeunes garçons, à l’instar de ce que l’on observe dans les pays arabes même si notre guide nous soutenait mordicus que cela n’a absolument rien à voir. NB : on ne voit personne sur ma photo, j’ai préféré photographier l’autre côté du pont. Le paysage de Valbonë est très alpin, proche des Dolomites selon les prospectus touristiques. C’est peut-être un peu exagéré, mais le Valbonë est incontestablement un coin magnifique.Nous y avons logé dans une ferme qui faisait chambre d’hôte, et située à l’écart de la route (une demi-heure de marche sur une route en terre) (hameau de Kukaj). Je n’avais pas mes chaussures de randonnée, restées avec les bagages dans le minibus, je suis donc monté en sandales mais ce n’était pas trop gênant. Une discussion surréaliste a eu lieu en arrivant : est-ce que les taches blanches qu’on apercevait çà et là étaient ou non des névés ? Certes, la chaleur accablante (et orageuse) qui régnait sur cette vallée permettait d’en douter. Contre toute attente, l’orage n’a pas éclaté ce soir là et le grand beau temps caniculaire est revenu le lendemain matin. À la fois une chance et une malchance, car ce jour était prévue la randonnée la plus importante du voyage (quoiqu’en partie en option) : 1200 mètres de dénivelé positif (en pleine chaleur !) devant nous conduire à la frontière du Monténégro. Heureusement le début de la montée était en partie en forêt. Ensuite, on arrive aux alpages et c’est vrai que le paysage tient un peu des Dolomites. C’est finalement plus vite que prévu que nous avons achevé la première partie de la montée, à la bergerie de Pplana. Un berger y vivait pendant tout l’été et vendait aux touristes des boissons fraîches (ainsi que du café turc). La suite du trajet jusqu’à la frontière était donc « facultative » (80 % du groupe est monté). Alors, neige ou pas neige ? Quelques jolies fleurs et fraises des bois. Le sentier est très bien balisé. Par contre et contrairement aux Dolomites, nulle voie d’accès aménagée vers les falaises, et nulle via ferrata ! Voici la frontière du Monténégro. Les montagnes de l’autre côté semblent beaucoup plus sauvages et minérales. Nulle trace d’activité humaine n’est visible. (C’est la seule fois du voyage où nous avons dépassé les 2000 mètres d’altitude) Oui, ce genre de photo c’est pour envoyer pendant le voyage via la tablette que me suis achetée, cédant moi aussi aux sirènes de l’instantanéité numérique. Il n’y a que pour le téléphone portable que je continue à résister ! Et voici pour en terminer avec cette balade mémorable, quelques photos prises à la descente. Nous avons fait halte à Pplana pour ce qui devait être l’unique pique-nique du voyage. Et nous étions très mal installés. C’est assez tôt que nous étions de retour au gîte, et nous nous y sommes pas mal ennuyés. J’ai pris ces quelques photos volées de la confection par des paysans du coin d’une meule de foin selon des techniques traditionnelles. (Dans nos contrées cela fait au moins trente ans qu’on voit ces rouleaux faits à la machine ; je ne me souviens d’ailleurs plus comment c’était avant, du temps de mon enfance, mais je ne pense pas que cette technique artisanale était encore en vigueur). Ci-dessous, notre gîte (le linge coloré à sécher n’était pas le nôtre mais celui de nos hôtes). La dernière photo a été prise dans la cuisine lors d’une démonstration de confection d’un plat albanais traditionnel. Une animation prévue au programme mais qui semblait être exécutée un peu à contrecœur. Deux dernières photos de Valbonë, prise le lendemain matin lors de notre ultime descente pour rejoindre notre véhicule. On notera au premier plan les meules de foin confectionnées la veille. Après avoir retrouvé notre chauffeur francophone, nous avons pris la direction de la frontière du Kosovo, que nous avons franchie après de rapides formalités (mais le passeport est obligatoire). Le Kosovo : je ne m’étendrai pas sur le scandale qu’à constitué l’ingérence occidentale (à coup de bombes à uranium) dans cette ancienne région de Serbie, qui a abouti à l’indépendance forcée de ce territoire et à une épuration ethnique quasi systématique au dépens des Serbes. Aujourd’hui, on voit donc des drapeaux albanais à chaque coin de rue (le drapeau kosovar n’étant présent que sur les bâtiments officiels), les panneaux indicateurs bilingues (albanais/serbes) voient systématiquement biffées leur partie serbe, de nombreuses églises orthodoxes ont été incendiées et les mosquées fleurissent (car contrairement aux Albanais d’Albanie, ceux du Kosovo ainsi que de Macédoine sont TOUS musulmans). Quant aux fameux monastères (Peć, Dečani, et Gračanica pour les plus célèbres), berceaux de la culture serbe et classés au patrimoine de l’UNESCO, ils sont sous bonne garde des militaires internationaux de la KFOR, les attaques des miliciens de l’UCK étant régulières. C’est justement par l’un de ces monastères, celui de Dečani (Дечани) que commençait notre séjour de vingt-quatre heures dans la province. Il nous a fallu passer le barrage de de la KFOR et ses blindés légers, rien de bien rassurant, mais les militaires ne s’intéressaient pas aux touristes. Avant que nous descendions du véhicule, notre chauffeur a tenu à nous préciser que nous allions maintenant entendre le « point de vue serbe », et on sentait la haine dans l’intonation de sa voix. (Il semble qu’il avait de la famille au Kosovo, mais ça ne justifie évidemment pas tout). J’ai pris cette photo du monastère avec les véhicules militaires, je me doutais bien que c’était interdit mais j’ai attendu qu’on me le précise. Les militaires, qui étaient italiens et plus exactement siciliens (l’un de mes compagnons de voyage a discuté avec eux en italien et je comprenais en gros ce qu’ils disaient), étaient en fait assez débonnaires. En réalité, ce n’était pas seulement des militaires qu’il était interdit de prendre des photos, mais du monastère tout entier ! J’ai trouvé qu’ils exagéraient. J’en ai quand même pris quelques unes, mais uniquement de l’extérieur. Nous avons eu droit pour la visite de l’église à des explications en anglais prodiguées par un jeune homme blond, serbe selon toute vraisemblance. Néanmoins, nul « point de vue serbe » ni considérations politiques, il a uniquement été question de l’origine et de l’histoire du monument (ce n’est qu’en réponse à une question qu’il nous a précisé que l’UCK avait tenté d’attaquer le monastère trois semaines auparavant). Même si nous comprenions tous plus ou moins l’anglais, notre guide albanais Ilir qui nous avait accompagnés, a traduit. Le monastère fut construit au XIVe siècle sous le règne du roi serbe Étienne Decanski. La plupart des icônes que l’on trouve à l’intérieur datent du XVIe siècle (ces deux photos ont été prises en douce par Philippe Pister, moi je n’ai pas osé). Changement radical d’atmosphère ensuite (et après un déjeuner dans un étrange établissement albanais, mi restaurant mi fast food). Nous avons visité dans la localité de Gjakovë (Đakovica Ђаковица) ce que le programme présentait comme un bazar. En fait, un ancien bazar de l’époque ottomane mais qui n’en a plus du tout la fonction. Tout juste peut-on repérer quelques maisons à l’architecture intéressante. On dira que les fils électriques font partie du paysage… Le plus intéressant dans cette courte de visite, c’est finalement cette mosquée (mosquée Hadum du XVIe s) dont nous n’avons vu que l’extérieur. Cette brève visite du bazar de Gjakovë se terminait sur cette place, dont le terre-plein central accueille ce monument à la gloire de l’UCK, statue d’un milicien au drapeau albanais en guise d’écharpe. D’après notre chauffeur dont l’impartialité n’est plus à prouver, les Serbes se seraient livrés à des exactions dans cette ville pendant la guerre du Kosovo. Ce qui n’est sans doute pas faux, mais de là à penser qu’ils étaient les seuls… De nos jours il n’y a plus un Serbe à Gjakovë. Ouvrage d’époque ottomane, le pont des Tailleurs qui date du XVe siècle se trouve en pleine campagne non loin de Gjakovë. Nous l’avons parcouru à pied, le trafic automobile empruntant de nos jours un autre pont parallèle. Visiblement ce pont a mieux traversé la guerre que celui de Mostar. Cette journée consacrée au Kosovo s’achevait dans la ville de Prizren (Призрен) où nous sommes descendus dans un hôtel de très bonne catégorie (hôtel Teranda), et situé en plein centre. Prizren, ville aux multiples visages, ou comment tout en faisant partie d’un même groupe ne pas faire le même voyage. Car au premier abord la ville est très agréable. De belles maisons, un cachet typiquement oriental avec ses mosquées ottomanes, sa citadelle. Et puis, une joyeuse animation nocturne, les terrasses des restaurants en plein air sur les berges de la Bistritsa, les musiciens des rues, la fête populaire sur la grande place où des chorales de jeunes et des musiciens folkloriques se produisent. Une ambiance très méditerranéenne, rappelant bien plus l’Italie où la Grèce que la tout de même assez austère Albanie, même si la ville de Shkodër était le seul aperçu que nous en avions à ce moment. Mais c’est en visitant la ville qu’on commence à se poser quelques questions. D’abord, il y a quand même pas mal de femmes voilées. Pas autant qu’à Trappes ou à Barbès, certes, mais tout de même bien plus qu’à Tirana. Il y a aussi la mosquée Sinan Pacha qui domine le cœur de la ville, datant du XVIe s. mais dont on apprend qu’elle vient d’être restaurée par les bons soins d’Erdoğan… Autre joyeuseté du lieu, les enfants roms qui viennent mendier au milieu des terrasses des restaurants, et préjugé ou pas mieux vaut surveiller ses affaires. Ceux-là tout le monde les déteste, Albanais comme Serbes, comme quoi… Dès mon arrivée dans la ville, j’avais repéré, sur les pentes de la colline, à mi-hauteur de chemin conduisant à la citadelle, cette petite église orthodoxe (église du Saint-Salut). Nous sommes passés devant en montant au fort (rude montée, soit dit en passant) ; mais à la descente, il s’est trouvé que l’église était ouverte et nous avons pu y entrer. Et là surprise : le sanctuaire n’a plus de toit, il a été incendiée en 2004, année où se sont déroulés à Prizren de véritables pogroms anti-Serbes (ce n’est pas moi qui le dit mais Wikipedia). D’autres surprises se dévoilent au fur et à mesure que l’on arpente le centre-ville. L’ancienne cathédrale orthodoxe, gardée par des policiers. On peut néanmoins y entrer (après que les policiers ont vérifié que nous n’étions pas albanais), ledit édifice est flambant neuf, aucun intérêt architectural, mais cela laisse imaginer que cette église a elle aussi brûlé avant d’être reconstruite. On trouve aussi dans la ville plusieurs maisons en ruine ou menaçant ruine, dont l’accès est barré. J’imagine qu’elles devaient appartenir à des Serbes. Et puis, notre séjour à Prizren s’est achevé dans une ambiance plus que maussade. Après une nuit difficile où aux bruits de la fête s’est ajouté l’appel assourdissant du muezzin, nous nous sommes levés en apprenant le terrible attentat qui avait eu lieu à Nice pendant la nuit. Et pour couronner le tout, et ça nous ne nous y attendions pas du tout, le temps s’était couvert et la pluie menaçait ! Bref. Nous avons commencé la journée en gagnant le col de Preval (alt. 1500 m environ) situé dans les monts Šar. De là était prévu une randonnée dans la montagne, mais nous y sommes arrivés en plein brouillard. Ni le guide, ni la majorité des participants ne se sont montrés motivés pour effectuer la balade, qui est donc passée à la trappe. Personnellement j’ai regretté cette décision (il ne pleuvait pas, la marche était donc parfaitement envisageable). Nous avons d’ailleurs suggéré au guide de nous attabler au café situé au col en attendant une éventuelle amélioration météorologique, mais le chauffeur a catégoriquement refusé, au motif que le tenancier de l’établissement n’était « pas sympathique », et qu’il valait mieux nous arrêter plus loin, après être entrés en Macédoine. J’ai suggéré que la véritable raison de ce refus devait être que l’établissement était tenu par des Serbes, le chauffeur m’a regardé puis a confirmé. D’ailleurs nous avons ensuite traversé plusieurs villages serbes, se caractérisant par la présence d’églises orthodoxes, d’inscriptions en cyrillique, de drapeaux serbes et (parfois) de slogans en anglais demandant le maintien du Kosovo au sein de la Serbie. Donc comme annoncé nous avons rapidement atteint la frontière de la Macédoine, ce pays dont l’indépendance fait consensus au sein de la « communauté internationale » mais pas le nom, et ce en raison d’un désaccord avec la Grèce au sujet de l’héritage d’Alexandre le Grand. Donc, plusieurs pays dont la France le reconnaissent sous le doux nom d’ARYM (ou un acronyme anglais équivalent), ce qui signifie : ancienne république yougoslave de Macédoine. La Macédoine est l’un des pays les plus pauvres d’Europe, lui aussi divisé en de multiples communautés (on est dans les Balkans), dont la principale est celle des « slavo-macédoniens » donc la langue s’écrit en caractère cyrilliques, et qui sont majoritairement orthodoxes. Les Albanais sont également nombreux dans le pays, ce qui occasionne là aussi des conflits même si cela n’en est pas au même point qu’au Kosovo. Comme au Kosovo, les Albanais de Macédoine sont tous musulmans, avec semble-t-il un sensible glissement vers l’islam radical. Notre séjour en Macédoine devait durer deux jours et a débuté par la ville de Tetovo (Тетово), majoritairement peuplée d’Albanais et où se trouve l’une des plus belles mosquées des Balkans, la mosquée peinte (ou mosquée bariolée), du XVe siècle. Mais lorsque nous nous sommes présentés à midi et demi devant l’établissement pour le visiter, un grand nombre de tapis de prière avait été installés dans la cour, et on nous a signifié que pour la visite nous devions repasser à 14h. Normal, nous étions vendredi, mais notre guide ignorait visiblement que dans l’islam le vendredi est jour de prière. Ce qui pour un guide d’un pays majoritairement musulman est tout de même un peu fort de café. Il voulait laisser tomber la visite et aller déjeuner (au restaurant situé à cinquante kilomètres de là), mais après la randonnée avortée j’ai insisté pour que nous attendions. Nous avons donc fait un long tour en ville jusqu’au marché. Il faut dire qu’en dehors de la mosquée il n’y a pas grand chose à voir à Tetovo, à part un horrible centre commercial d’époque titiste et d’architecture stalinienne. Et puis, on croise vraiment beaucoup de femmes voilées en ville, ce qui pour nous autres Français est de moins en moins dépaysant et de plus en plus désagréable. La mosquée de Tetovo se caractérise par la richesse de ses décorations, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Et certaines de ces décorations sont en limite des interdits coraniques puisque représentent des paysages, des bâtiments et des navires. On notera la tenue qu’avait dû arborer pour cette visite les participantes féminines du voyage. Je leur ai d’ailleurs fait remarquer qu’en général, les femmes (musulmanes) n’accédaient pas à la grande salle de la mosquée, mais uniquement à la petite mezzanine qui leur est réservée. Ce qui les a fort étonnées. Après la visite, direction le restaurant dans un site en plein air mais heureusement abrité, situé sur les berges d’une rivière près de Gostivar (Гостивар). Nous y sommes arrivés alors que tombaient des trombes d’eau. Nous avons terminé la journée en montagne, dans la station de ski de Mavrovo (Маврово), une programmation dont l’intérêt ne saute pas aux yeux. C’est la seule station de Macédoine (sachant qu’il n’y en a aucune en Albanie), mais bon. Voulant se rattraper de la balade avortée du matin, notre guide nous a emmenés pour une petite marche sur la route qui s’est terminée sous l’orage au bout d’une demi-heure. Seule curiosité de cette balade, cette ancienne église orthodoxe, en partie submergée par la montée des eaux lors de la construction du barrage et reconstruite un peu plus haut. Le lendemain le temps n’était toujours pas radieux ; nous avons d’abord emprunté assez longuement une route de montagne, qui nous a fait passer par la haute vallée du fleuve Drin, sur un lac de retenue duquel nous avions navigué le second jour. Tous les villages albanais que l’on traverse sont dotées de mosquées flambant neuves, accompagnées de minarets ostentatoires à trois niveaux (aussi hauts que ceux de la mosquée Bleue !). Je me demande bien qui les finance, notons aussi qu’on ne voit pas ça en Albanie. Arrivée ensuite à Ohrid (Охрид), une ville historique très touristique et plutôt intéressante ; seul hic (par rapport au thème général du voyage) : rien d’albanais ici ! Ohrid est située sur les rives d’un lac (le lac d’Ohrid), frontalier avec l’Albanie et qui est situé à 700 m d’altitude. Ce lac à l’eau très pure est le plus profond des Balkans et l’un des plus anciens du monde (avec le Titicaca et le Baïkal). Malgré sa (relative) altitude et sa température un peu frisquette, ses berges jouent le rôle de riviera dans ce pays enclavé qu’est la Macédoine, au même titre que le lac Balaton en Hongrie. Nous avons pour notre visite d’Ohrid bénéficié des services d’un guide anglophone dont Ilir a tant bien que mal traduit les explications. La ville était déjà importante dans l’antiquité (voir les ruines du théâtre antique), mais a connu son apogée sous l’empire byzantin. C’est notamment à Ohrid que fut inventé par Saint-Clément d’Ohrid l’alphabet cyrillique, sa statue trône à l’entrée de la ville (Cyrille était le nom de son mentor). La ville fut ensuite prise par les Turcs qui s’y livrèrent aux exactions que l’on imagine, rasant ou transformant en mosquées toutes les églises à l’exception des plus petites. De nos jours la ville est majoritairement orthodoxe, avec tout de même 20 % de musulmans (semble-t-il, des slavo-macédoniens convertis). Parmi les églises qui subirent les ravages des ottomans, cette ancienne cathédrale Sainte-Sophie. Transformée donc en mosquée, elle n’a été que récemment réaffectée au culte orthodoxe. Sa visite n’était pas prévue au programme, mais j’ai pu y pénétrer en payant moi-même l’entrée (photos interdites à l’intérieur en raison de la valeur des fresques ; la photo présentée provient de Wikipedia). Surprise, résonnait à l’intérieur de l’édifice des harmonies du divin Mozart. Un orchestre de chambre ainsi que deux solistes y répétaient la Symphonie concertante K 364 en vue d’un concert probablement donné le soir même. Mon grand regret, que l’emplacement de notre hôtel à quelques kilomètres d’Ohrid (et le fait que notre guide n’ait pas proposé de nous ramener en ville) ne nous ait pas permis d’assister le soir à ce concert. Le théâtre antique d’Ohrid (à l’origine théâtre grec, puis romanisé en amphithéâtre si j’ai bien compris). Chaque année y est organisé un festival de chant lyrique. Ce petit rayon de soleil était bienvenu ! La ville est dominée par la forteresse du tsar Samuel, qui fut tsar de Bulgarie de 997 à 1014 (tout en étant vassal de l’empire Byzantin). Après être entré sans payer (car le guichetier n’avait pas la monnaie !) je suis monté sur les remparts où grouillait une fouille de touristes. J’ai photographié le drapeau macédonien qui est la version acceptée par les Grecs (a contrario du premier drapeau qui représentait le soleil de Vergina, symbole d’Alexandre). L’église Saint-Jean de Kaneo, récemment refaite à neuf. Elle aussi avait été transformée en mosquée par les Turcs. Enfin pour terminer, deux photos du centre-ville avec un reste de remparts (du Ve s av. JC !) et une rue piétonne et commerçante. Nous avons rejoint notre hôtel au début d’une après-midi « libre ». L’hôtel, d’assez bonne facture, était proche des rives du lacs mais, comme je l’ai dit, loin du centre. N’envisageant pas de me baigner en raison de la température un peu fraîche, tant de l’air que de l’eau (22°C) (mais certains de mes compagnons de voyage l’ont fait !), je me suis baladé le long des rives. Il n’y avait néanmoins pas vraiment de sentier côtier, d’autant que toute une zone le long de la côte est barrée et protégée par une clôture et des caméras de surveillance. D’après notre guide, il s’agit de l’ancienne datcha d’un dirigeant du temps du communisme (sans doute de Tito ? je ne sais plus). Nous avons débuté le jour suivant par une visite qui n’était semble-t-il pas prévue au programme : le monastère de Saint-Naum. Ce monastère est situé sur les rives du lac d’Ohrid, tout proche de la frontière avec l’Albanie. À proximité se situe également une résurgence par laquelle les eaux du lac Prespa (l’autre grand lac de la région que nous verrons ensuite) se déversent dans celui d’Ohrid. Le monastère de Saint-Naum date du Xe siècle, mais fut ravagé par un incendie en 1875. Les paons qui se baladent dans le monastère constituent une particularité du lieu, mais des écriteaux conseillent de s’en méfier. Aucun n’a fait la roue pendant notre visite. L’intérieur de l’église est décoré d’anciennes icônes, les photos sont interdites mais j’ai passé outre. Ce n’est pas bien ! Nous sommes ensuite montés en véhicule au col de Galičica (ou Galitchitsa, Галичица), dans le massif qui sépare le lac d’Ohrid du lac Prespa. À 1600 m d’altitude environ, la température était frisquette et la vue assez bouchée. Il semble que c’est de là que nous aurions dû effectuer une randonnée, mais notre guide a préféré y renoncer et la faire un peu plus tard, en Albanie, dans un endroit sans guère d’intérêt. Nous sommes donc descendus de l’autre côté du col en direction du lac Prespa. Le lac Prespa est partagé entre trois pays (la Macédoine, la Grèce et l’Albanie) et nous devions bientôt franchir la frontière pour rentrer définitivement en Albanie. Peu après, au niveau d’un col où était édifiée une mini-chapelle orthodoxe à la grecque, nous avons donc entamé cette randonnée d’1h30 en direction d’une bergerie. Randonnée suivie d’une longue halte dans un restaurant situé non loin des rives du lac Prespa. Le restaurant était très fréquenté par des familles albanaises endimanchées. Le guide nous a raconté qu’à l’époque du communisme, les rives de ce lac étaient une zone interdite, fréquentée uniquement par les habitants du village. Ce qui n’a pas empêché des dissidents de gagner la Yougoslavie d’alors en traversant le lac à la nage ! Après un court trajet en voiture (dont je n’ai rien vu car j’ai dormi…) nous avons gagné la ville de Korçë, la bourgade la plus importante du sud-est de l’Albanie. Nous y sommes descendus dans un étrange hôtel tenu par des Américains, assez cher, à la décoration d’un modernisme exacerbé. Aucun reproche à faire, si ce n’est un manque (total) de charme. La ville par contre a pas mal de caractère, avec ses rues pavées et sa relative homogénéité architecturale. La religion dominante à Korçë est l’orthodoxie, la cathédrale venait tout juste d’être reconstruite. Korçë est connue en Albanie pour sa bière, distribuée dans tout le pays et consommé par tous les Albanais quelle que soit leur religion. La visite de la brasserie était prévue au programme, mais le fait que nous étions dimanche (et que l’établissement était fermé) n’avait visiblement pas été intégré par l’agence. Nous avons donc été quittes pour une excursion inutile dans un quartier périphérique assez peu folichon. J’ai photographié ce peu reluisant immeuble dont on se demande vraiment comment il peut tenir debout dans cette région assez sismique. A suivi un dîner au restaurant : encore une fois très copieux, les amuse-bouche suffisant à nous couper l’appétit au point que la moitié des convives ont refusé le plat principal, au grand étonnement et semble-t-il provoquant la gêne de nos hôtes ; il faut dire qu’en ce dimanche soir le restaurant avait ouvert rien que pour nous. Nous avons terminé la soirée par une balade dans la principale rue de Korçë (bld Shën Gjergji), assez animée et à la population plutôt jeune. Nous sommes aussi montés (à pied, ce qui a surpris le gardien l’obligeant à aller chercher la clef d’accès à l’escalier) en haut d’une tour en béton très récente, qui domine toute la ville (mes photos en pause valent ce qu’elles valent). La dernière photo ci-dessus montre le bâtiment de ce qui fut un lycée français. La ville Korçë eut par le passé des liens privilégiés avec la France puisque des troupes françaises y stationnèrent pendant la Première Guerre Mondiale. La journée suivante a commencé par un transfert assez lent (sur une mauvaise route non asphaltée) vers les montagnes du sud du pays. Avec tout de même quelques haltes, d’abord pour visiter un tumulus préhistorique (Kamenicë). Le site fut fouillé en 1996 et y fut retrouvé le squelette d’une femme datant de 5000 ans. Le musée contient bien évidemment des copies (ne rêvons pas !). Finalement, le plus intéressant de l’endroit était des ces peaux de pommes étalées dans les rues pour y sécher. Il paraît que c’est pour fabriquer du shampoing ! Après encore une bonne heure de trajet (entrecoupée d’une pause café), pendant lesquelles mes tentatives de photographier le paysage ont été peu fructueuses (col de Quarrit), halte dans une petite ville vraiment loin de tout, Ersekë. Courte balade dans les rues de la ville, à l’architecture communiste et dont les seuls commerces florissants semblaient être les marchands de téléphones portables. Situé en pleine nature, le mémorial de Përmendore e luftës est un autre endroit assez bizarre. Ce monument qui rappelle L’Ouvrier et la Kolkhozienne a semble-t-il été érigé pour commémorer la Seconde Guerre Mondiale. Nous avons gagné notre gîte, la ferme Sotira, avec bassin à truites et chambre dans des bungalows, un endroit « écolo » qui plaît bien aux bobos. De là, nous sommes partis pour une randonnée de l’après-midi (en dépit de la forte chaleur !) en direction de la frontière grecque que nous n’avons toutefois pas atteinte. Nous avons pour commencer longé le fond d’une vallée (avec plusieurs traversées de torrent mais sans nécessiter de se déchausser). Après un passage près d’une source, nous sommes rentrés par un autre itinéraire, d’abord en balcon puis dans un autre vallon. Il fallait faire attention aux chiens de bergers, potentiellement agressifs. Nous avons retrouvé le camp sans avoir eu à emprunter la route, contrairement à ce que j’avais craint. Après un départ poussif, nous avons le lendemain matin gagné la ville de Leskovik, ancienne ville de garnison du temps du communisme, du fait de sa proximité de la frontière grecque. La montagne qui domine la ville est percée de part en part de tunnels et de galeries en béton. Il n’y a du reste pas qu’à Leskovik qu’on trouve des bunkers en béton, Hoxha en a fait construire des centaines de milliers à travers tout le pays et il n’est pas rare d’en apercevoir sur le bord des routes. Leskovik fait face au massif de Nemërçkë, l’une des chaînes de montagnes les plus importantes d’Albanie (qui se prolonge en Grèce) et qui culmine à 2482 m. Après une courte halte dans un café (à Çarçovë), nous avons entamé la randonnée la plus éprouvante de ce voyage : 4h de marche en pleine chaleur (les cigales s’en donnaient à cœur joie !), et en démarrant à 11h… c’était néanmoins très beau. Le but était une cascade, la cascade de Sopoti (descendant du Nemërçkë). Comme la balade était presque entièrement en aller-retour, certains participants ont fait grève sur le tas. Nous avons commencé par franchir sur un pont suspendu tout rouillé, le fleuve Vjosë (Αώος) aux eaux turquoise : il s’agit de l’un des cours d’eau les plus importants d’Albanie, prenant sa source en Grèce. Nous avons ensuite gagné par une route en terre le village de Strëmbec. Croisant au passage quelques randonneurs qui étaient tous français ! Aux heures chaudes il n’y a que les chiens et les Français dehors, comme le dit paraît-il un proverbe italien. Strëmbec semble à moitié abandonné mais ne l’est pas totalement, nous avons croisé quelques habitants. Le sentier, très bien balisé, suit ensuite longuement un canal d’irrigation construit à flanc de montagne (et parfois même, à certains endroits, en souterrain sous des éboulis). Cet ouvrage construit en pierre de tailles (devant donc dater au moins de plusieurs décennies) et qui a dû nécessiter des efforts colossaux, sert à alimenter en eau le village de Strëmbec. C’est l’eau de la cascade qui est (presque totalement) détournée vers ce canal. L’approche finale de la cascade : La cascade bien méritée (à contre-jour) : Et enfin, des photos des endroits traversés, prises à la descente. Outre notre retard consécutif à cette balade, plus longue que prévu, la fin de notre journée a été perturbée par le malaise de l’un des participants, ce nous a empêchés de voir (et de nous baigner dans) les sources chaudes de Benje. Ici un bref arrêt dans la ville de Permet, sur le cours du fleuve Vjosë. Nous avons passé les deux nuits suivantes à Gjirokastër, l’une des villes les plus touristiques d’Albanie, inscrite au patrimoine de l’Unesco. La ville, présentant une certaine homogénéité architecturale, est bâtie sur le flanc d’une montagne et ses rues sont très en pente. Le bourg est dominé par une très grande forteresse (que nous devions visiter le soir suivant). C’est de Gjirokastër qu’était originaire Enver Hoxha. Nous avions ce matin-là quartier libre jusqu’à 10h pour nous balader dans la ville, je suis monté presque jusqu’en haut (je dominais largement le fort). Les ruelles excentrées ne sont pas très touristiques (ni d’ailleurs très propres), mais conservent un certain cachet. Je suis tombé sur cette petite perle au cours de mes pérégrinations : Pour finir, une vue du centre avec ses boutiques à touristes. Nous sommes ensuite partis (encore en plein midi, le guide ne se refaisait pas !) pour une randonnée à flanc de montagne (les contreforts du massif de Nemërçkë), sur des sentiers reliant plusieurs villages en face de Gjirokastër (en l’occurrence d’Erind à Këllëz). Cette randonnée devait s’achever à Dhoksat où le restaurateur de l’établissement où nous avions dîné la veille nous invitait chez lui. Étrange désintéressement n’est-ce pas ? J’ai sans doute l’esprit mal tourné. Le fait est que la région de Gjirokastër défraie régulièrement la chronique pour… ses cultures de cannabis. De temps en temps, devant les caméras internationales, la police investit un village pour détruire les champs alentour — lesquels sont naturellement replantés un peu plus loin. Toujours est-il que l’itinéraire de la randonnée du jour a été préalablement discuté (pour ne pas dire négocié) entre le guide et le restaurateur, et d’ailleurs on ne nous a nullement caché qu’il était plus que déconseillé de monter sur les pentes dominant les villages. Aussi quand le restaurateur, fort bavard, nous raconte qu’après la chute du communisme il est parti avec son frère en Grèce pour y travailler comme maçon (jusque là on le croit), où il aurait fait fortune ce qui lui a permis d’investir dans un restaurant, euh… D’autant que bizarrement il n’y avait pas un chat dans ledit restaurant. Donc, début de randonnée plein d’allant : Je me suis laissé aller à photographier ces crapauds dans un bassin : Traversée d’un premier village, Nokovë ; c’est visiblement un village orthodoxe. Nous avons voulu en visiter l’église Saint-Georges, mais l’édifice était fermé, et une cérémonie avait lieu à l’extérieur (commémoration d’un enterrement). Second village, Mingul, avec encore une église. Nous nous sommes ensuite engagés sur un assez long sentier en balcon, le village suivant, Këllëz, étant beaucoup plus distant. Le sentier était bien marqué, mais bizarrement, notre guide nous l’a fait quitter pour une sente de plus en plus étroite qui se terminait en cul-de-sac. Donc, demi-tour. Il lui a ensuite fallu demander son chemin à un berger (ce qui n’est pas sans risque à cause des chiens), puis finalement, nous n’avons pas eu d’autre choix que de traverser une propriété privée ! Ce jour-là, je crois qu’Illir nous a vraiment montré la plénitude de son savoir-faire. Il faut dire que partir dans la nature avec un smartphone en guise de carte, ce n’est pas ce qu’il y a de mieux. C’est néanmoins avec cet ordiphone qu’il nous a tirés de cette impasse, appelant le restaurateur pour qu’il arrange le coup avec le propriétaire du terrain (et accessoirement, que le minibus vienne nous chercher à Këllëz). Ici une photo de la fort luxueuse maison où nous avons déjeuné (nourriture albanaise traditionnelle et excellente, entièrement préparée par la mère du restaurateur pourtant assez âgée). De retour à Gjirokastër, nous avons d’abord visité l’ancienne maison d’Enver Hoxha, transformée en musée (j’ai lu sur Wikipedia que cette maison avait été la cible d’un attentat en 1997, je ne sais pas jusqu’à quel point elle a été endommagée ; en tout cas ce détail n’a pas été évoqué pendant la visite). La maison n’est pas un mémorial du communisme mais un musée ethnographique reconstituant fidèlement le cadre vie de la bourgeoisie (musulmane) de Gjirokastër au début du XXe siècle. Tous les objets présentés (mobilier) sont d’époque, mais seulement une partie proviennent effectivement de la famille d’Enver Hoxha. La maison était très vaste, avec des pièces pour l’hiver et des pièces pour l’été (bizarrement, ce sont les étages supérieurs qui étaient utilisés l’été). Il transparaît aussi que (comme hélas dans bien des sociétés musulmanes pour ne pas dire toutes) hommes et femmes vivaient séparément. Une pièce notamment était exclusivement réservée à recevoir le futur mari de la jeune fille de la maison ; laquelle non seulement n’avait pas de mot à dire sur le choix de son futur, mais ne participait même pas à la réception ; elle disposait seulement d’un vasistas pour pouvoir sans être vue apercevoir ce dernier depuis un cagibi en hauteur. Sur un mur à proximité de la maison se trouve cet étonnant tag, Lavdi va präs sä Enver Hoxhes (ce qui signifie : longue vie à Enver Hoxha). Incroyable mais vrai, le tyran communiste aurait encore des partisans ! Nous sommes ensuite montés visiter la très vaste forteresse (XVIIIe s.) qui domine la ville. Le plus spectaculaire est sa galerie voûtée où sont entreposés des canons de la Seconde Guerre Mondiale. La forteresse abrite aussi un avion espion américain abattu par le régime communiste dans les années 1950. À l’extrémité de la forteresse, cette tour d’horloge serait d’influence française. Elle est l’œuvre d’Ali Pacha de Tepelena (de Janina), très tyrannique gouverneur albanais du début du XIXe siècle qui lutta contre les Turcs et accessoirement contre les Français (il est parfois surnommé le Napoléon albanais). Il est aussi question d’Ali Pacha dans le Comte de Monte-Christo (nous rencontrerons dans la suite de ce voyage d’autres édifices datant de son gouvernorat). C’est le lendemain que nous avons gagné la côte albanaise, en l’occurrence la mer Ionienne, afin notamment d’y visiter le site archéologique de Butrint. Quittant Gjirokastër, nous sommes à nouveau passés très près de la frontière grecque (les panneaux du secteur sont d’ailleurs bilingues albanais/grec) avant d’obliquer brutalement en direction d’un col à 490 m d’altitude. La vue depuis ce col est assez intéressante et on peut même deviner la mer (c’est sur la droite de la photo mais il faut quand même avoir l’œil). Le chauffeur (dans ce voyage c’était vraiment lui la force de proposition et autant dire le patron) nous a alors proposé un extra, la résurgence de Syri i kaltër (L’Œil bleu, en albanais). C’est un site apparemment assez connu en Albanie avec beaucoup de touristes locaux (mais peu d’étrangers), qui n’hésitaient pas à plonger dans la résurgence. Ensuite nous avons gagné la côte et les environs du site de Butrint, et là on se croirait vraiment en Grèce et non plus en Albanie. Butrint avait été construire le long du canal de Vivari reliant la mer Ionienne et une lagune (la lagune de Butrint). La frontière grecque est située à quelques kilomètres sur la rive gauche, ce qui explique d’ailleurs l’absence de pont sur le cours d’eau (alors qu’il en existait un dans l’Antiquité). On peut deviner sur l’une des photos un fort que l’on doit à Ali Pacha de Tepelena. Les montagnes qu’on aperçoit au large font partie de l’île grecque du Corfou (on peut même distinguer le chef-lieu éponyme de Corfou ainsi que le point culminant de l’île, le mont Pantocrator (Όρος Παντοκράτορας), que j’eus l’heur de gravir dans ma prime jeunesse). À l’époque de mon ascension à Corfou (c’est-à-dire en 1981), l’Albanie était un pays totalement fermé et hostile. L’attrait du mont Pantocrator (et aussi sans doute le fait que je m’en souvienne si bien) venait justement du fait que l’on pouvait y jeter un œil sur ce pays si mystérieux. Mais absolument rien ne transparaissait de l’Albanie, pas la moindre activité humaine. C’est que, bien évidemment, le secteur était strictement interdit à l’Albanais lambda du fait de la proximité de la Grèce, et que cette zone interdite incluait le site archéologique de Butrint, dont la visite était de fait réservée à quelques dignitaires du régime. Il en va (malheureusement) tout autrement aujourd’hui, car si l’Albanie reste un pays très préservé du tourisme de masse, Butrint fait exception. La faute en incombe aux excursions à la journée organisées depuis Corfou : 30 minutes de bateau rapide sur coussin d’air suffisent pour gagner le port albanais de Sarandë, d’où des cars climatisés déversent leur flot de touristes à Butrint. Ce sont donc des groupes entiers avec des guides qui parlent toutes les langues européennes, une ambiance rappelant, sinon l’Acropole athénienne (n’exagérons pas), le palais de Cnossos par exemple. Du coup, c’est un peu difficile de visiter Butrint sereinement, et de prendre des photos sans que trop de touristes y figurent (je me suis pourtant efforcé de le faire). Le site de Butrint mélange des vestiges de trois époques principales : l’époque hellénistique (4e siècle av. J-C), l’époque romaine (Jules César) et enfin l’époque byzantine. Le site fut abandonné au Moyen Âge en raison de son caractère insalubre. Le nom grec de Butrint est Βουθρωτόν et le nom latin Buthrotum ; en français on traduit parfois par Buthrote. Voici le pour commencer le théâtre greco-romain de Butrint : Le baptistère, connu pour ses mosaïques, placées en exergue dans beaucoup d’ouvrages promotionnels sur l’Albanie. La basilique d’époque byzantine. Comme Mycènes ou Hattuşa, Butrint possède sa porte au Lion (en l’occurrence, un lion terrassant un taureau). À droite, les murailles de la ville d’époque hellénistique ainsi qu’un tombeau portant une inscription en grec ancien. Une vue depuis le site sur la lagune de Butrint (il s’agit d’une lagune de type fermé, séparée de la mer non par un cordon mais par une véritable presqu’île (sur laquelle sont situées les vestiges) et reliée à elle par le canal de Vivari.) Et pour terminer, l’acropole de Butrint et son fort vénitien du XIIIe s. Il abrite un petit musée archéologique. C’est à nouveau le mont Pantocrator corfiote que l’on peut apercevoir en arrière-plan. Dernière photo prise à l’entrée du site archéologique : le bac à câble qui permet de traverser le canal de Vivari (et accessoirement, d’accéder à Butrint à partir de la Grèce continentale). Lors d’un voyage en Grèce il y a trente-cinq ans, je me souviens d’un bac un peu similaire qui permettait de gagner l’île de Leucade, elle aussi séparée du continent par un étroit canal. Il va sans dire que ce bac a depuis belle lurette été remplacé par un pont. Mais en Albanie, le temps semble parfois s’être arrêté. Un copieux dîner au restaurant a suivi cette importante matinée culturelle. Puis, nous avons repris le minibus pour un long trajet, longeant la côte de cette riviera albanaise malheureusement très défigurée maintenant, même si le tourisme qu’elle draine n’est pas international mais local (ou du moins régional). Nous avons notamment traversé la ville balnéaire et portuaire de Sarandë. Je n’ai pas pu en prendre de photos car j’étais assis du mauvais côté du bus. Dans l’après-midi était prévue une autre visite, celle du fort de Porto Palermo, bâti sur une presqu’île, comme il se doit par Ali Pacha de Tepelena. L’endroit vaut surtout par son environnement (mais le paysage ressemble aussi beaucoup à la Grèce). La forteresse proprement dite (je vous en épargne les sombres couloirs). Le programme du voyage prévoyait un bain dans la mer Ionienne. Notre chauffeur (car c’était toujours lui qui décidait) a choisi de s’arrêter à Jalë, une station balnéaire autrefois très prisée de la nomenclatura. La baignade a été assez rapide (d’autant que le jour déclinait). J’ai trouvé l’eau pas si chaude que ça. La forte déclivité de la plage fait perdre pied presque immédiatement. Nous n’avons pas passé la nuit au bord de la mer mais dans un hôtel situé en pleine montagne, à 800 m d’altitude derrière un col : étrange choix des organisateurs. L’avantage, c’était une fois n’est pas coutume de démarrer à la fraîche la randonnée du lendemain. Cette dernière a été effectuée dans le parc national de Llogora, sur une colline surplombant la mer de près de mille mètres, et dans un secteur très sauvage (il faisait quand même assez chaud). Ce sont toujours les îles grecques que l’on aperçoit au large, Corfou, ainsi que deux petites îles situées plus au nord et habitées, Othonoi (Οθωνοί) et Érikoussa (Ερείκουσα) (informations trouvées dans Wikipedia à mon retour, car notre guide était incapable de nous prodiguer la moindre explication à leur sujet). Vers le nord, on pouvait apercevoir une autre partie de la côte albanaise, non plus sur la mer Ionienne mais sur la mer Adriatique. Le but de notre randonnée était de disgracieuses antennes de télécommunications, à 1300 m d’altitude environ. Il n’était pas prévu d’atteindre le plus haut sommet du massif, le mont Shenilise. Après une progression en balcon sur des sentes de chèvres afin de contourner le Shenilise, la randonnée se terminait par une progression en sous-bois jusqu’aux abords de l’hôtel où nous avions dormi. Il y avait un sentier qui desservait une ferme située dans un vallon, mais Ilir munis de son irremplaçable ordiphone a entrepris de l’éviter (à cause des chiens) et de couper à travers champs. Toutefois la progression de bloc en bloc était très malaisée et ça a vertement râlé dans le groupe, obligeant notre Bergführer du dimanche à se raviser (et in fine, il n’y avait ni chiens ni troupeaux ni d’ailleurs personne dans la ferme quand nous y sommes passés). Après un déjeuner à côté de l’endroit où nous avions dormi, nous avons fait route pour la dernière grande ville touristique qu’il nous restait à voir en Albanie, Berat. Notre itinéraire qui nous a fait traverser la ville de Florë qui fut très brièvement la capitale de l’Albanie lors de son indépendance ; puis la région de Fier, très industrialisée à l’époque communiste avec sa fabrique d’engrais chimiques (il ne s’agit pas d’une centrale nucléaire) dont la propagande marxiste était particulièrement fière (sans jeu de mots). Toutes ces usines sont de nos jours à l’abandon. Lors d’un arrêt au café à Roskoveç, nous avons découvert que l’électricité était à ce moment là totalement coupée dans la ville. Cela semble arriver assez souvent, comme en Turquie au début des années 1980… Berat, magnifique ville historique inscrite à l’Unesco, dont les bâtiments d’architecture homogène sont construits sur les flancs d’une colline. La ville est dominée par une citadelle qui protégeait un quartier encore habité de nos jours. Nous avons eu la fin d’après-midi ainsi que la matinée suivante pour parcourir la ville. Notre hôtel était situé en plein centre de la ville basse (la photo de gauche montre la cour de notre hôtel). À peine avais-je parcouru cent mètres à l’extérieur que j’ai cru avoir la berlue en apercevant ce bus. Bien évidemment, de toutes les personnes à qui j’ai montré cette photo, seuls les Parisiens en saisissent l’incongruité. Vu de près, le véhicule a non seulement conservé les couleurs des bus de la Ville Lumière, mais aussi certains détails confondants comme les panneaux Entrée et Sortie en français. Seul manque le logo de la RATP ! Il paraît évident que devant se débarrasser de ses bus diesel qui ne répondaient plus aux normes écologico-bobo tant vantées dans les médias, et plutôt que de les faire « déconstruire » à prix coûtant, la ville de Paris a trouvé plus malin de les refourguer en douce à ce bled reculé d’Albanie en pensant bien que personne n’irait jamais les y reconnaître ! Voici quelques photos que j’ai prises lors de ma visite vespérale de Berat. Ici le vieux quartier « suspendu » de Mangalem dont j’ai ensuite parcouru les ruelles. La ville semble à majorité musulmane (mais pas exclusivement). Disposant encore de temps avant le dîner, j’ai choisi de monter à la citadelle, dont la visite en groupe était pourtant prévue le lendemain dans la matinée. L’accès est normalement payant, mais j’ai découvert sur la carte Openstreetmap de mon GPS un sentier de traverse qui s’apparentait à une poterne. Je suis monté par là, l’itinéraire était un peu raide (et l’escalier très délabré) mais j’ai effectivement pu franchir les remparts sans payer (et personne n’est venu me demander quoi que ce soit ensuite). Dans la citadelle, on trouve les restes d’une mosquée Rouge dont il ne subsiste que le minaret. Et cette très belle église orthodoxe (église de la Sainte-Trinité), située sur le versant ouest du bastion et que notre guide ne nous montrera pas le lendemain. Berat vue de la citadelle au coucher du soleil. Nouveau « quartier libre » le lendemain matin. J’ai commencé par retourner dans le quartier de Mangalem que j’ai photographié avec une autre lumière. (J’ai même tenté de photographier une cigale. Il faut dire qu’elle faisaient un bruit assourdissant). Nous sommes ensuite montés en groupe à la citadelle (rue ascendante particulièrement glissante et chaleur déjà forte) dans laquelle nous sommes cette fois-ci entrés par la grande porte. La forteresse date du XIIIe siècle, elle fut assiégée sans succès en 1280 par Charles d’Anjou (roi de Sicile et fils du roi de France Louis VII), ce qui marqua la résistance de l’empire Byzantin. La principale rue de l’intérieur de la citadelle, la rue Mbrica. Les tissus ne sont pas du linge à sécher mais des tentures en vente pour les touristes. Le musée Onufri est installé dans l’ancienne église de la Dormition de la Vierge. Les photos à l’intérieur y sont interdites (celle que je présente est la photo d’une photo). Onufri était un peintre d’icônes orthodoxes qui a vécu au XVIe siècle. Ses œuvres se caractérisent par la couleur rouge, le « rouge Onufri », dont le secret a été perdu. Il a également été question dans cette visite des deux codex de Berat (Codex Purpureus Beratinus) qui datent du VIe et IXe siècle et qui étaient conservés dans l’église Saint-Georges (aujourd’hui en ruine) située au bout de la citadelle. Pour terminer, les remparts et la vue sur la ville. Sur la photo de droite, on aperçoit une colline striée qui domine la ville, ces traits seraient selon la légende les coups d’épée de l’un des deux amants d’une belle (l’autre amant se battant au canon dont on peut apercevoir les coups sur la colline opposée). Cette colline supporte également une inscription en capitales blanches, NEVER, anglicisme venu remplacer l’ENVER (Hoxha) de l’époque communiste. Notre voyage en Albanie devait s’achever par Tirana (orthographiée en albanais Tiranë), la capitale du pays (ville que nous avons rejointe en passant d’abord par le port industriel de Durrës, puis en coupant par l’intérieur pour éviter les embouteillages). Notre hôtel, à la décoration pour le moins déconcertante, était une fois n’est pas coutume situé à l’écart du centre, qu’il était toutefois possible de gagner à pied. Tirana (500 000 hab, 1 million pour l’agglomération) est une ville très marquée par la période communiste dont elle n’a pas tourné la page. On trouve pas mal de bâtiments abandonnés datant de cette époque dont personne ne sait que faire : l’hôtel d’État, la pyramide, la maison d’Hoxha. La place centrale, la place Skanderbeg (du nom du héros national albanais) est dominée par son musée national à l’architecture très connotée, et par son opéra du même style (et dont la programmation ne satisferait guère l’amateur d’art lyrique que je suis). Deux ensembles autour de cette place tranchent avec ce style stalinien. Il y a d’abord la mosquée Et’hem Bay, d’époque ottomane et épargnée par Hoxha (nous y retournerons le lendemain pour en visiter l’intérieur). Et puis, ces deux bâtiments de style italien qui son le legs à l’Albanie de l’occupation mussolinienne, entre 1939 et 1944. L’avenue Dëshmët e Kombit, les « Champs Élysées » tiranaises, avec ses étonnants feus tricolores. On y trouve cet ancien hôtel d’État, ce que savait faire de mieux le régime pour recevoir ses hôtes étrangers (pour un résultat j’imagine bureaucratique et sans fantaisie). Le bâtiment est à l’abandon sans que personne ne prenne la décision de le démolir. Il y a également cette pyramide, prouesse architecturale dont Hoxha était particulièrement fier et dont l’avenir n’est toujours pas arrêté. On trouve aussi dans le secteur un morceau du Mur offert à Tirana par le ville de Berlin, ainsi qu’un exemplaire des milliers de bunkers qui parsèment encore l’Albanie. Enfin pour en terminer avec ces stigmates, l’ancienne résidence d’Hoxha située au cœur du Bloc, un quartier autrefois barricadé de Tirana auquel seul la nomenclatura avait accès. Lors de la chute du régime la population s’y précipita, mais ne procéda pas sa curiosité une fois satisfaite à des destructions. On peut du reste être surpris de la (relative) modestie de cette demeure. Dernier jour de voyage. Mon avion étant dans l’après-midi, j’ai pu une dernière fois me promener dans Tirana. Voici quelques photos de la rivière Lana (peu ragoûtante, telle la Bièvre parisienne avant qu’elle ne soit recouverte), du marché, et d’une toute récente église orthodoxe. Et pour terminer, l’intérieur et l’extérieur de l’ancienne mosquée Et’hem Bay qui se trouve sur la place Skanderbeg, et qui constitue peut-être le seul vestige du Tirana d’antan. Pour rappel l’islam est la religion dominante en Albanie (65 % de la population) mais, du moins pour l’instant, le salafisme n’a pas de prise sur la société (les femmes voilées sont par exemple très rares, beaucoup plus rares qu’à Paris hélas, la tolérance entre religions semble forte tant qu’on reste entre Albanais — et il y a très peu de minorités ethniques dans le pays). À cette situation, fort exceptionnelle pour un pays musulman, on peut attribuer plusieurs causes, le communisme qui a rendu bon nombre d’Albanais athées en est certainement une (sans doute l’un des rares apports positifs de cette période noire sur l’évolution du pays). Il y a peut-être une autre raison, car historiquement la majorité des musulmans albanais ne se réclamaient pas du sunnisme mais du bektashisme, une branche dissidente très édulcorée de l’islam (que l’on retrouve aussi en Turquie où elle est aujourd’hui très persécutée) et qui serait également influencée par le christianisme. L’Albanie, pays européen oublié des touristes, semble également oubliée des prédicateurs islamistes des monarchies du Golfe, et c’est une chance. Espérons que cela puisse durer ! |